Les compagnies de théâtre Jeune Public subissent la crise sanitaire de plein fouet. En temps normal déjà, artistes et compagnies connaissent des réalités de statuts et d’aides à la création très variées. La crise de la Covid-19 a encore compliqué la donne. Les vagues successives et le lot de mesures qu’elle charrie menace les nouvelles créations de nombreuses compagnies qui risquent de sombrer sans avoir été vues par les programmateur·rice·s ni par le public.

Les compagnies de théâtre Jeune Public auraient dû présenter leurs nouvelles créations à la presse et aux programmateurs professionnels lors des Rencontres Théâtre Jeune Public de Huy reprogrammées en novembre (celles-ci se déroulent habituellement durant la deuxième quinzaine du mois d’août), mais ces dernières ont été annulées. Il s’agit, pour le secteur du théâtre enfance et jeunesse, d’une manifestation majeure et indispensable en termes de visibilité à la presse et de mise en marché des créations des compagnies francophones (programmateur·rice·s professionnel·le·s et enseignant·e·s).

Des opérateurs culturels, comme le Centre culturel du Brabant wallon, espéraient leur donner une visibilité lors de l’opération annuelle de “Noël au théâtre”, mais elle aussi a sombré corps et âme. Ces annulations successives ont porté un coup très dur aux compagnies qui préparaient leur nouvelle création.

 

 

Des résidences aux captations de la RTBF

Lors de la première vague Coronavirus, en raison du confinement, les résidences programmées de longue date au Centre culturel du Brabant wallon et accompagnées d’un important travail de médiation avaient dû être annulées. Tout comme les bancs d’essai prévus avec des classes, des crèches et des familles. Cette deuxième vague automnale qui succède à la première a entrainé la fermeture des lieux de diffusion et les représentations ne sont plus autorisées, pour une durée encore indéterminée. Les compagnies qui ont travaillé sur leurs nouvelles créations pendant une année, soutenues ou non par un contrat-programme[1] ou par une aide à la création[2], se retrouvent bien souvent aujourd’hui sans perspectives de diffusion et, par conséquent, de la possibilité d’en vivre…

Certaines d’entre-elles peuvent heureusement faire escale dans des lieux de résidence, pour reprendre leur souffle et se préparer à d’autres formes de diffusion. Il était prévu de longue date que le Centre culturel du Brabant wallon accueille en ce mois de décembre les Cies Chispa, Les Pieds dans le Vent, Tangentes et Des Mutants.

Le Centre culturel du Brabant wallon a fait le choix de maintenir son activité d’accueil en résidence  particulièrement vitale pour un secteur méchamment pris dans la tourmente. Quatre spectacles qui n’ont jamais été montrés à des programmateur·rice·s ni vus par le public, se trament donc entre ses murs.

En vue d’une prochaine diffusion sur Auvio, La RTBF réalise actuellement des captations de spectacles d’artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans divers lieux culturels. Celles-ci sont devenues un des seuls moyens dont disposent les compagnies, pendant la pandémie, pour diffuser et partager leurs spectacles avec le public.

Les compagnies se sont également confiées sur leurs difficultés actuelles. Retrouvez leurs témoignages au bas de cet article.

 🔸 Jean de Fer, l’homme sauvage et l’enfant, par la Cie Chispa, un spectacle musical pour les 8 à 12 ans.

En résidence au Centre Culturel du Brabant wallon du 18 au 24 décembre. Une Captation par la RTBF de son spectacle est prévue les 22 & 23 décembre dans le cadre du Plan RESTART.

🔸 Bouches, par la Cie Les Pieds dans le Vent,du théâtre d’objets qui s’adresse aux enfants entre 3 et 7 ans

En résidence au Centre culturel du Brabant wallon les 28 et 29 décembre. Bouches fera l’objet d’une captation par la RTBF au Théâtre des Tanneurs. La résidence au CCBW est l’occasion pour la compagnie de répéter son spectacle en vue de cette captation.

🔸 Deux sœurs, par la Cie des Mutants, conte, théâtre et manipulation d’objets qui s’adresse aux enfants de 7 à 12 ans

 En résidence au Centre culturel du Brabant wallon du 29 décembre au 3 janvier.

🔸 Rêves de papier, par la Cie Tangentes, du théâtre chorégraphique qui s’adresse aux tout-petits jusqu’à 5 ans

En résidence au Centre culturel du Brabant wallon le 3 janvier.

Être “contrat-programmé”… ou pas

Certaines compagnies de théâtre Jeune Public sont “contrat-programmées”. Cela signifie donc qu’elles bénéficient de subventions fixes qui leur sont accordées par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour une période de cinq ans[1] et peuvent, grâce à celles-ci, payer les artistes et les charges, répéter et créer dans une relative sécurité d’esprit.

Mais certains se plaignent de la complexité du système des aides. Yves Delattre souligne que « la création artistique, théâtrale ou non, public jeune ou non, est devenue vraiment compliquée à financer dès qu’elle dépasse en nombre une poignée d’artistes. La complexité des démarches pour les demandes de financement en décourage beaucoup. Les retombées économiques, si elles arrivent, sont minces quand on les compare aux efforts et à l’énergie dégagée pour créer le plus souvent à bout de bras et sans moyens. Dans un contexte (même avant la crise sanitaire) où tout devient virtuel et “à distance”, le fait de créer des œuvres impliquant le corps, les sens, le mouvement, le son et le mot nous semble primordial. Pour créer sereinement, une revalorisation du travail artistique et de l’importance de la culture (…), un refinancement du secteur et un allègement des procédures aideraient beaucoup. »

De l’importance d’un réseau

« Des centres culturels, nous attendons qu’ils jouent leur rôle de relais et de diffusion, plaide Fanny Hanciaux. Qu’ils informent les écoles de la mise en œuvre du PECA, dont les compagnies Jeune Public attendent aussi beaucoup. Le triangle écoles, centres culturels et artistes doit être solide. La culture doit appartenir à tout le monde et on doit trouver des solutions pour que cela puisse continuer à vivre. Les acteurs subventionnés doivent réfléchir ensemble pour assurer cela et continuer à profiter du professionnalisme du secteur. »

 

Les Compagnies témoignent

Pour la Cie Les Pieds dans le Vent, « l’annulation des Rencontres de Huy et ensuite des représentations programmées à Liège et à Bruxelles a évidemment causé beaucoup de chamboulements, souligne Alexia Kerremans. Nous avions prévu de présenter notre création Bouches aux Rencontres de Huy. Étant donné que celles-ci ont été reportées en novembre, l’équipe a dû répéter une semaine supplémentaire en octobre pour se préparer au maximum. Suite à la nouvelle annulation de la création programmée en novembre, la compagnie a dû de nouveau trouver une solution. Grâce à une semaine de travail au CCBW, le spectacle Bouches est prêt pour une captation vidéo prévue fin décembre. Ces reports demandent beaucoup d’énergie, de force morale et de temps d’organisation. La captation de Bouches ne se fera pas dans les meilleures conditions car, malheureusement, il n’y aura pas de public d’enfants pour amener l’énergie, les émotions, le dynamisme dont les artistes sur scène se nourrissent lors de représentations “ordinaires”. Notre diffusion sera cette année fortement affaiblie par les limites du nombre de programmateurs à inviter, le manque du public enfant, le manque de dates disponibles dans les lieux pour les nouvelles créations car elles seront prises par les reports des autres spectacles… Noël au Théâtre représente pour nous un festival convivial où programmateurs et familles se retrouvent autour des créations, nouvelles ou déjà présentées à Huy. Cette année, nous souhaitions présenter notre deuxième création de 2020, Rapa, avant de la jouer à Huy en 2021. Il faudra revoir nos plans, car il se profile que la programmation de Huy 2021 sera celle de la cuvée 2020… »
Malheureusement, il n’y aura pas de public d’enfants pour amener l’énergie, les émotions, le dynamisme dont les artistes sur scène se nourrissent lors de représentations “ordinaires.” Alexia Kerremans

La Cie Chispa comptait vraiment sur la concentration de programmateurs présente à Huy pour donner le coup d’envoi nécessaire à la diffusion de son spectacle, Jean de Fer, l’homme sauvage et l’enfant, fin prêt à être vu.

« Nous constatons qu’il est de plus en plus difficile de voir les programmateurs se déplacer pour assister à l’une ou l’autre représentation ailleurs ou à un autre moment qu’aux Rencontres, devenues du coup curieusement incontournables, note Yves Delattre. Le poids de leur annulation puis des représentations à Liège combiné à la fermeture des lieux de spectacle se fait cruellement sentir cette année. En apprenant que les candidatures étaient ouvertes pour l’édition 2021, nous avons un peu l’impression de passer à la trappe, voire de faire partie d’une génération “sacrifiée”. Au-delà des turbulences logistiques ou organisationnelles et des émotions ou états d’âme que ce chaos engendre, nous regrettons que ces reports et annulations privent le jeune public de stimulations humaines plutôt qu’informatiques, réelles plutôt que virtuelles, en présence plutôt qu’à distance, ingrédients d’une nourriture que nous considérons essentielle à la survie d’un être humain. Il est pour nous urgent que ces jeunes, dont beaucoup sont perdus, en détresse et décontenancés par cette époque agitée, puissent retrouver accès à une culture vivante qui questionne, dans le fond comme dans la forme, ce que vivre et grandir veut dire. En tant qu’artistes créateurs, ce rôle de poseurs de questions et d’ouvreurs d’alternatives donne en tout cas tout son sens à notre recherche, en plus de nous maintenir en éveil. »

Ces reports et annulations privent le jeune public de stimulations humaines plutôt qu’informatiques, réelles plutôt que virtuelles. Yves Delattre

 

La Cie des Mutants, qui a la chance de bénéficier d’un contrat-programme depuis 25 ans, devait présenter deux spectacles lors des Rencontres de Huy. « Le passage par Huy est obligatoire, parce qu’il permet d’être vus par 300 à 500 programmateurs, souligne Fanny Hanciaux, responsable artistique, comédienne et chargée de diffusion. L’exercice est difficile, parce qu’il se fait uniquement devant des programmateurs et non devant le public visé, mais il est indispensable pour garantir la diffusion future des créations. Nos deux spectacles sont archi-prêts, d’autant que des théâtres et des centres culturels dont les salles de spectacles étaient fermées nous ont prêté leurs infrastructures comme lieux de répétitions. Les scènes bruxelloises qui devaient accueillir l’opération Noël au Théâtre ont aussi permis que les captations des spectacles puissent se dérouler dans leurs salles. On doit continuer de s’entraîner comme des sportifs de haut niveau pour être prêts à jouer dès que les vannes seront à nouveaux ouvertes, même avec des jauges réduites. On ne peut pas ne pas le faire, parce que les spectacles sont foisonnants et doivent être vus ! »

L’exercice est difficile, parce qu’il se fait uniquement devant des programmateurs et non devant le public visé, mais il est indispensable pour garantir la diffusion future des créations. Fanny Hanciaux

Heureusement qu’il y a toujours les séances scolaires

Le soutien du Centre culturel du Brabant wallon à la création Jeune Public se manifeste aussi par l’organisation d’une programmation scolaire de spectacles vivants. Ceux-ci s’accompagnent également d’ateliers pour des classes, de supports pédagogiques et d’activités de médiation scolaires, auxquelles les compagnies apportent un grand soin. Marie-Pierre Hérion, chargée de projets Jeune Public, se réjouit du soutien et de l’enthousiasme des écoles qui continuent de faire entrer le théâtre dans leurs classes.

Ainsi, en ce mois de décembre, les classes de maternelles de l’École communale de Tangissart et du Collège Notre-Dame de Basse-Wavre accueillent

Zingala, par le Kyoka Théâtre
À pas de Loup, par la Cie Les Liseuses

[1] Un contrat-programme lie des opérateurs culturels (comme des centres culturels ou des professionnels des arts de la scène) à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Celle-ci leur apporte un soutien financier au fonctionnement et aux activités pour une durée de 5 ans, sur base d’un programme détaillant, notamment, les lignes de force et les publics d’un projet d’activités. Le Contrat-programme permet ainsi de pérenniser leur action en garantissant un financement régulier.
[2] La FWB octroie aussi des bourses d’aide à la création artistique.

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